Cas Historiques

Nous avons commissionné des études de cas narratives de plusieurs pays dans lesquels nous avions une présence à long terme auparavant. Bien que la transition vers l’apport et l’adaptation des solutions à grande échelle n’était pas l’objectif principal, nous voulions savoir ce que nous pouvions apprendre de ces expériences pour éclairer nos partenariats axés sur la mise en place de solutions à l’échelle adaptée.

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PREFACE

La présence de la Fondation Bernard van Leer au Maroc s’étend de 1981 à 2008. Notre histoire dans le pays tourne autour d’un individu engagé qui a servi de clé de voûte pour notre partenariat, et qui nous a permis de nous focaliser sur les meilleures stratégies pour élargir et améliorer l’éducation préscolaire.

Ce cas démontre l’importance d’avoir des partenaires ancrés dans le contexte local, et le rôle central qu’ont joué quelques dirigeants en faveur de la petite enfance. Mais il explore également le risque d’une dépendance excessive envers un seul individu, et l’importance d’envisager stratégiquement la transition vers la nouvelle génération au pouvoir.

Dans cette étude est par ailleurs illustrée un rôle primordial de notre fondation, celui d’aider à la création d’un centre d’excellence local qui – lorsque l’occasion se présente – est en mesure de soutenir l’expansion à grande échelle d’initiatives en faveur de la petite enfance. Au Maroc, lorsque le gouvernement a décidé de se concentrer sur l’amélioration de la qualité de la formation des enseignants, notre partenaire ATFALE était prêt, et a pu fournir du matériel sous la forme de la « valise pédagogique », un système de formation complet en 30 sessions. Mais bien que ce matériel de formation se soit avéré efficace, d’autres parties du modèle d’ATFALE ne l’ont pas été. Nous avons pu en tirer une seconde leçon : un modèle peut sembler attrayant dans sa phase pilote, mais la transition vers la mise en œuvre grande échelle nécessite souvent des interventions simples pouvant plus facilement être intégrées aux services existants.

Je suis très reconnaissant à M. Khaled El Andaloussi d’ATFALE d’avoir chaleureusement accueilli l’auteur de cet article, Kay Dilday, et d’avoir organisé les entretiens nécessaires. Nous remercions également toutes les personnes impliquées, et en particulier Marc Mataheru, notre dernier responsable de programme pour le Maroc, pour ses conseils précieux et ses souvenirs. À la fin de cet article, nous avons ajouté quelques questions développées à partir de notre analyse du cas. J’espère que celles-ci pourront déclencher de fructueuses discussions au sein d’autres fondations sur le rôle de la philanthropie envers nos plus jeunes citoyens.

Michael Feigelson, Directeur Exécutif, Fondation Bernard van Leer, Avril 2018

Maroc

  • Période:1980-2015
  • Investissement total de la Fondation Bernard van Leer au Maroc:3.150.000 € – 90.000 € / an

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INTRODUCTION

S’appuyer sur les valeurs islamiques : un changement fondamental dans l’éducation de la petite enfance au Maroc

En 2015, le Conseil Supérieur de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique du Maroc annonce son plan stratégique pour les 25 prochaines années. Parmi les objectifs figurent « l’institutionnalisation et la standardisation de l’éducation préscolaire ».

L’identification de l’éducation préscolaire comme priorité représente un changement considérable dans l’ethos national depuis 1978, date à laquelle la Fondation Bernard van Leer commence à soutenir les initiatives en faveur d’un développement de qualité de la petite enfance au Maroc.

Pendant près de 30 ans durant lesquels elle a reçu le soutien de la Fondation, l’Alliance de Travail dans la Formation et l’Action pour l’Enfance (ATFALE), premier partenaire de la Fondation dans le pays, a réussi à faire de l’éducation préscolaire de qualité une préoccupation nationale, reconnue comme un élément essentiel du mandat gouvernemental en terme d’éducation. Elle a également réussi à faire évoluer les attentes et sensibiliser davantage les parents à l’importance de la petite enfance.

En 1978, lorsque la Fondation Bernard van Leer entre au Maroc, un peu moins de 40% des enfants fréquentent le préscolaire, la plupart dans des écoles coraniques se focalisant sur quelques heures hebdomadaires d’enseignement religieux, la majeure partie du temps étant consacrée à la garde des enfants, assurée par de jeunes filles et femmes sans formation (Banque mondiale/Institut de statistique de l’UNESCO, en ligne).

Aujourd’hui, environ 55% des enfants de 4 à 5 ans fréquentent une forme ou une autre d’éducation préscolaire en dehors du foyer (bien que ce pourcentage soit plus faible dans les zones rurales que dans les villes). 81% d’entre eux sont inscrits dans des écoles coraniques traditionnelles, 10% dans des établissements préscolaires privés et près de 9% dans des programmes préscolaires financés par des fonds privés mais situés dans des écoles publiques (UNESCO, 2014, en ligne)2.

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Au cours des 20 premières années de présence de la Fondation au Maroc, plusieurs bureaux gouvernementaux ont été créés pour superviser les établissements préscolaires. La plupart de ces bureaux n’ont exercé qu’une surveillance de courte durée ou partagée avec d’autres départements ou ministères, créant une certaine confusion et compliquant la supervision. Pour y remédier, un certain nombre d’organismes publics ont collaboré à la mise en place d’un organisme non gouvernemental indépendant chargé de superviser la formation préscolaire, dans le but de formaliser et d’universaliser une pédagogie moderne et de s’éloigner d’un modèle basé sur du personnel non formé. Créée en 2008, cette agence – la Fondation Marocaine pour la Promotion de l’enseignement préScolaire – a pour vocation d’offrir des formations professionnelles pour l’enseignement préscolaire, en partenariat avec l’ATFALE.

Soutenue par la Fondation Bernard van Leer, l’ATFALE, à travers la formation directe, la diffusion de matériel de formation, le plaidoyer et le partage transnational des connaissances, a introduit des innovations qui ont largement contribué à transformer la pensée et la pratique de l’éducation préscolaire au Maroc. Pour ce faire, ATFALE a fait appel au cours des 30 dernières années à des experts de nombreux domaines et a délibérément collaboré avec toutes les parties prenantes : les ministères, les écoles publiques, privées et religieuses, les juridictions locales urbaines et rurales et les familles de toutes catégories de revenus.

Bien qu’il reste encore beaucoup à faire – surtout en ce qui concerne l’accès à des écoles préscolaires compréhensives centrées sur l’enfant dans les zones rurales et défavorisées, et l’augmentation du nombre de filles dans l’enseignement préprimaire – de grands progrès ont été réalisés au cours des 30 dernières années.

Bien qu’il reste encore beaucoup à faire – surtout en ce qui concerne l’accès à des écoles préscolaires compréhensives centrées sur l’enfant dans les zones rurales et défavorisées, et l’augmentation du nombre de filles dans l’enseignement préprimaire – de grands progrès ont été réalisés au cours des 30 dernières années.

La place historique de l’éducation de la petite enfance au Maroc

Lorsque la Fondation Bernard van Leer est entrée au Maroc pour la première fois, l’éducation préscolaire ne suscitait pas grand interêt ; ni institutionnellement, en tant que préoccupation gouvernementale, ni parmi le secteur de l’éducation privée.

Le pays prends son indépendence en 1956, un peu plus de deux décennies plus tôt, et le gouvernement en encore en débat sur le développement de son système éducatif national3. Des écoles « libres » (c’est-à-dire publiques) étaient apparues pendant la période coloniale, diminuant le rôle des écoles coraniques (kouttab) qui avaient éduqué la majorité des enfants marocains âgés de 7 à 10 ans (et parfois même jusqu’à l’âge de 16 ans). Lorsque ces écoles ont commencé à perdre leurs élèves au profit des écoles publiques libres, les kouttab ont commencé à accepter de plus jeunes enfants âgés de 3 à 6 ans. Graduellement, les plus petits sont devenus la majorité de leur effectif.

En 1968, la responsabilité des kouttab dans l’éducation de la petitie enfance est officialisée, par un discours du roi Hassan II. Comme les kouttab accueillaient déjà de jeunes enfants, la portée du discours d’Hassan II est la suivante : il demande à ces écoles coraniques de jouer un rôle supplémentaire à l’éducation religieuse ; les kouttab, dit-il, sont appelés à préparer les enfants pour l’école primaire. Il précise alors que cela doit se faire au moyen d’une série d’activités qui initient les enfants à la lecture, à l’écriture et au calcul et qui leur permet de pratiquer des activités physiques et artistiques pour l’enseignement de l’histoire nationale. (Il inscrit alors symboliquement son fils de 4 ans, le futur roi, dans un kouttab (El Andaloussi, 2005 : 29).

Working Papers 23: An innovation in Morocco’s Koranic pre-schools. Khadija Bouzouba. Bernard van Leer Foundation, 1998.

Suite au discours de Hassan II, le Bureau du Préscolaire est créé. À partir de 1975, le secteur relève de la division chargée de lutter contre l’analphabétisme. Mais cette division ne survit pas très longtemps. En parellèle, le rôle des kouttab dans l’éducation préscolaire s’accroit au point où, dans les années 70 et 80, dans les zones urbaines, les parents doivent souvent prouver que leurs enfants ont fréquenté un kouttab pour être admis à l’école primaire (Bouzoubaâ, 1998 : 8).

En 1978, l’UNICEF collabore avec le ministère de l’Éducation pour créer une division chargée de transformer l’enseignement préscolaire en mettant en œuvre de nouveaux programmes et en assurant une supervision ministérielle. Elle faisait partie du Département de l’enseignement primaire, cependant peu de ces fonctionnaires avaient une expérience de l’éducation de la petite enfance (El Andaloussi, 2005 : 36). Malgré le manque de personnel qualifié, le gouvernement prend des mesures claires indiquant reconnait, dans une certaine mesure, la nécessité d’améliorer la qualité de l’éducation de la petite enfance. La même année, en 1978, la Fondation Bernard van Leer investi dans son premier programme dans le pays, en collaboration avec le ministère des Affaires Sociales, pour un programme pilote de formation du personnel des garderies de Casablanca, la ville la plus peuplée du Maroc. À son achèvement en 1982, le programme connait un succès modeste – un petit groupe de travailleurs avait été formé et les parents impliqués avaient acquis de nouvelles idées sur le développement de la petite enfance et l’éducation de qualité ; le personnel de la Fondation et les participants nationaux l’ont jugé toutefois trop académique et trop local. Ce n’était pas un projet qui pouvait être développé à grande échelle.

Le changement intervenu après 1968 dans les responsabilités des écoles coraniques en matière d’éducation de la petite enfance avait également créé un enjeu difficile à contrôler pour les services gouvernementaux. Pendant la période du Protectorat français, le ministère de la Jeunesse et des Sports était responsable du secteur préscolaire. Cela se poursuit dans les années 60 et 70. À la fin des années 70, l’autorité du ministère de la Jeunesse et des Sports sur tous les enfants d’âge préscolaire est de plus en plus contestée par le ministère de l’Éducation. Le ministère des Affaires Religieuses revendique également la tutelle de la petite enfance en raison du caractère coranique de la grande majorité des institutions d’enseignement préscolaire (Bouzoubaâ, 1998 : 4).

C’est à cette époque, au début des années 80, que Fred Wood, directeur de programme à la Fondation Bernard van Leer, s’adresse à Khaled El Andaloussi, originaire du Maroc, qui étudie les sciences de l’éducation à l’Université de Toulouse-le Mirail, en France. De retour au Maroc en 1983, M. El Andaloussi est professeur de sciences de l’éducation à l’Université Mohammed V de Rabat, la capitale. La Fondation avait eu des difficultés à avoir un impact significatif au Maroc en travaillant directement avec le gouvernement comme partenaire principal, en partie à cause de la nature complexe de l’administration préscolaire. M. El Andaloussi était un Marocain ayant à la fois une formation et, comme l’a correctement évalué M. Wood, une passion pour la création d’un enseignement préscolaire de qualité conforme aux valeurs de la Fondation. Un partenaire local ayant accès à un département universitaire formé d’experts en éducation était bien placé pour promouvoir la mission de la Fondation et établir des liens fructueux avec le gouvernement et la communauté éducative.

Le nombre d’enfants fréquentant les kouttab avait plus que doublé entre le discours royal de 1968 et 1985.

Avec le soutien de la Fondation, M. El Andaloussi et une équipe de chercheurs de l’Université Mohammed V fondent l’Alliance de Travail dans la Formation et l’Action pour l’Enfance, connue sous le nom d’ATFALE, qui est à la fois l’acronyme du nom en français et un mot qui signifie « enfant » en arabe marocain.

Le moment était opportun. La situation des jeunes enfants au Maroc evoluait rapidement. Traditionnellement, la plupart des enfants restaient à la maison avant d’entrer à l’école primaire (si tant est qu’ils y allaient) or, de plus en plus d’enfants entraient dans les kouttab dès leur plus jeune âge. Le nombre d’enfants fréquentant les kouttab avait plus que doublé entre le discours royal de 1968 et 1985.

Croissance régulière du nombre de kouttab, d’enfants accueillis et d’enseignants dans les kouttab pendant la période qui a suivi l’indépendance

1969-70 1975-76 1980-81 1985-86 1990-91 1994-95
Kouttab 14 283 18 932 27 245 29 901 33 345 36 117
Enfants 293 612 375 567 583 868 693 738 778 766 787 681
Enseignants 14 333 20 576 29 366 32 811 38 247 37 834

Les concepts modernes de l’éducation de la petite enfance étaient toutefois peu visibles dans les pratiques. Alors que le discours royal avait introduit la notion d’institutionnalisation et que les directeurs de kouttab recevaient des programmes et des manuels du ministère de l’Éducation, les kouttab recevaient principalement les enfants des quartiers défavorisés et les circonstances reflétaient leur pauvreté. Les salles de classe étaient exiguës et sombres, sans accès à l’eau courante. Les enseignants n’étaient pas formés et avaient eux-mêmes souvent reçu une éducation insuffisante. Il était évident, comme le souligne Brigitte El Andaloussi, membre de l’équipe d’ATFALE, que « le concept de ‘préscolaire’devait être construit ».

Histoire chronologique des 30 ans d’engagement de la Fondation Bernard van Leer au Maroc

Pour cette compilation de l’histoire de l’éducation préscolaire au Maroc, la Fondation Bernard van Leer a demandé à son personnel sur place, Khaled et Brigitte El Andaloussi, ainsi qu’aux éducateurs, chercheurs universitaires et aux responsables gouvernementaux impliqués dans la promotion de l’éducation préscolaire au Maroc, de raconter leurs 30 dernières années. Ils discutent des différentes étapes, des gains, des reculs et des stratégies au fil des décennies, ainsi que des défis à venir.

Courtesy ATFALE

De 1979 à 1989

La Fondation Bernard van Leer, en partenariat avec le ministère des Affaires Sociales, pilote un premier programme de petite taille pour former le personnel dans les garderies de Casablanca. En 1984, le personnel de la Fondation rencontre Khaled El Andaloussi et commence lui apporter un soutien, ainsi qu’à d’autres membres de la Faculté des Sciences de l’Éducation de l’Université Mohammed V, dans des projets de développement de formation pour les éducateurs péscolaires en partenariat avec le gouvernement.

Khaled El Andaloussi, fondateur de l’équipe ATFALE :
Je suis retourné au Maroc en 1983, et c’est alors que les directeurs de pays de van Leer m’ont contacté. Ils avaient auparavant financé un projet en collaboration avec le ministre des Affaires Sociales entre 1979 et 1983. Le projet ne se passait pas bien. Je ne sais pas très bien pourquoi, mais il y avait de nombreuses difficultés. J’ai alors eu l’occasion de démarrer un projet.

Le préscolaire se limitait à reproduire un cours préparatoire « simplifié » ou à faire du baby-sitting. Il est vite apparu que le concept de « préscolaire » devait être construit.

Brigitte El Andaloussi, formatrice ATFALE en éducation préscolaire et historienne ATFALE :
Lorsque Khaled est retourné au Maroc, il a retrouvé ses collègues de l’université. Ils ont mis sur pied une équipe d’universitaires, de chercheurs et de professionnels qui s’intéressaient à la petite enfance. Leur but était de déterminer comment ils pourraient être utiles au Maroc après leur retour, munis de leurs diplômes étrangers. À ce moment-là, le secteur de l’éducation de la petite enfance était complètement marginalisé. Le préscolaire se limitait à reproduire un cours préparatoire « simplifié » ou à faire du baby-sitting. Il est vite apparu que le concept de « préscolaire » devait être construit.

Photo: Kay Dilday

Marc Mataheru, chargé de programme de la Fondation Bernard van Leer Maroc 2010–14 :
Dans les années quatre-vingts, la stratégie de la Fondation était principalement axée sur des projets pilotes qui étaient novateurs dans leurs approches et dont on pouvait espérer qu’ils déboucheraient au fil du temps sur la mise en place de services d’éducation préscolaire pour les enfants et les familles les plus défavorisés de la société.

Ce faisant, la Fondation a préféré (bien que cela n’ait pas été dit très explicitement) conclure des accords avec les gouvernements et les institutions (nationales), tels que les ministères et les agences associées, pour mettre en place des « projets modèles ». Les projets ont été financés au moyen d’une subvention accordée à ces organismes, dans l’espoir que ces projets prennent de l’ampleur au fil du temps. L’hypothèse était qu’en travaillant avec les gouvernements, la continuité et la durabilité à long terme seraient assurées lorsque le financement de la Fondation serait épuisé.

La Fondation avait investi dans des projets avec le ministère au Maroc, mais n’avait pas vu beaucoup de progrès. Fred Wood avait rencontré Khaled en France. Il savait que le projet n’allait pas bien au Maroc et dit au personnel de la Fondation : « C’est un jeune homme que vous devriez rencontrer. »

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K. El Andaloussi :
J’ai envoyé une proposition à Willem Welling[Directeur exécutif de la Fondation Bernard van Leer, 1968-88] en 1985 pour évaluer ou explorer la faisabilité du projet et c’est ainsi que tout a commencé. J’ai travaillé avec le ministère de la Jeunesse et des Sports de 1986 à 1989. L’avantage que nous avions était que j’étais professeur à la Faculté des Sciences et de l’Éducationà l’Université Mohammed V et que j’ai pu négocier un projet qui serait basé dans la faculté en partenariat avec le ministère de la Jeunesse. Notre objectif était de visiter les établissements préscolaires dans toutes les régions qui dépendaient du ministère.

B. El Andaloussi :
Nous avons testé différentes formes de formation en cours d’emploi avec des responsables de jardins d’enfants et leurs directeurs régionaux. Notre modèle consistait en une alternance de périodes de formation intensive à Rabat, les éducateurs retournant ensuite à leur école pour la mise en œuvre. Les participants effectuaient cette alternance trois fois au cours d’une année scolaire.

Nous avons testé différentes formes de formation en cours d’emploi avec des responsables de jardins d’enfants et leurs directeurs régionaux.

K. El Andaloussi :
Chaque année, nous recevions 20 enseignants de différentes régions. Il s’agissait d’une trentaine de régions à l’époque. (Nous les appelions alors délégations et non régions, donc 30 délégations.) Par la suite, nous avons travaillé avec le ministère de l’Éducation sur des programmes de formation qui se poursuivent encore aujourd’hui.

B. El Andaloussi :
Sur la base du succès de notre projet avec le ministère de la Jeunesse et des Sports, un ministre du ministère de la Science et de l’Éducation a rendu visite au Département des sciences de l’éducation de l’université. La fonction des écoles coraniques avait changé au fil des ans. Avec le développement de l’éducation publique, les écoles coraniques ne comptaient plus que de très jeunes enfants pour la plupart, des enfants entre 3 et 6 ans, les plus âgés allant dans les écoles publiques. En 1990, le ministre de l’Éducation a demandé à la Faculté de soutenir les kouttab préscolaires qui relevaient de sa compétence.

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Les années 90

Soutenue par la Fondation, l’ATFALE lance l’Opération des Écoles Coraniques, un effort conjoint avec le ministère de l’Éducation nationale pour aborder et standardiser le niveau d’éducation préscolaire dans les écoles coraniques ; le gouvernement français soutient l’ATFALE dans les efforts de formation et de modernisation dans les écoles privées ; l’ATFALE lance le Groupe Petite Enfance, une réunion mensuelle pour le développement professionnel continu des éducateurs de la petite enfance dans le secteur privé avec des réunions au niveau national. (Ce groupe continue de se réunir tous les mois depuis 20 ans.)

En 1996, l’ATFALE devient officiellement une ONG. Cela lui permet de poursuivre plus efficacement ses travaux.

Lorsque l’ATFALE lance l’Opération des Écoles Coraniques, environ un tiers des enfants de 3–6 ans fréquentent un kouttab, représentant environ 88% des enfants suivant une forme d’éducation préscolaire. Les autres enfants sont scolarisés dans des jardins d’enfants modernes plus proches d’un modèle occidental.

À l’époque, les kouttab des zones urbaines étaient généralement orientés vers les études et placés sous la tutelle du ministère de l’Éducation ; les kouttab ruraux étaient davantage axés sur l’éducation coranique et généralement gérés par les communautés villageoises, bien que le ministère de l’Éducation et le ministère des Affaires Religieuses avaient, et ont toujours, leur mot à dire dans leur fonctionnement (Bouzoubaâ, 1998 : 4).

Photo: Kay Dilday

B. El Andaloussi :
Les écoles coraniques n’étaient pas habituées à accueillir de si jeunes enfants. Ainsi, ce sont des jeunes femmes et filles qui étaient chargées de garder les enfants et le Fqih [un expert en droit islamique] venait y enseigner le Coran, mais ce sont bel et bien les jeunes filles qui en avaient vraiment la charge.3

Najat El Mdari, directrice des activités préscolaires à Al Jisr, une ONG qui travaille à l’amélioration du système éducatif national, et ex-directrice de CARE international :
Dans certaines régions, les filles étaient très, très jeunes, parfois âgées de 14 ans : des filles qui n’avaient pas de formation scolaire ou intellectuelle et ce sont elles qui se retrouvaient face aux enfants. Souvent, leur but principal se limitait à empêcher les enfants de se battre.

K. El Andaloussi :
Les salles de classe étaient conçues pour accueillir un maximum d’enfants et la plupart d’entre elles n’avaient pas de cour intérieure ou extérieure, ce qui limite le temps consacré aux loisirs ou aux activités physiques. L’équipement de base faisait défaut, en particulier dans les zones rurales et périurbaines (eau courante, électricité, ventilation, sanitaires).

K. El Andaloussi :
Mais à cette époque, le Maroc avait développé une nouvelle vision de l’enfant : le Maroc était signataire des droits de l’enfant, signataire de la Déclaration des droits de l’homme.4 Il y avait une atmosphère politique et un écosystème qui permettaient l’existence du travail que nous réalisions.

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K. El Andaloussi :
Pour nous, le projet des écoles préscolaires coraniques était une tâche énorme : nous devions travailler avec les directeurs des écoles préscolaires coraniques, avec le ministère, et surtout nous devions développer une vision qui était basée sur les données scientifiques relatives au développement de l’enfant mais aussi ancrée dans la réalité économique sociale et culturelle du Maroc. Nous n’avons pas parlé de « préscolaire » lorsque nous nous sommes rapprochés des taalim al awali (écoles primaires) : c’était notre première leçon.

B. El Andaloussi :
En collaboration avec le ministère de l’Éducation, l’équipe ATFALE a élaboré un programme d’actions à mener au cours des quatre années suivantes : formation d’éducateurs et de conseillers pédagogiques, mise en œuvre de kouttab pilotes et suivi sur le terrain.

Il y avait une atmosphère et un écosystème politique favorables au travail que nous réalisions.

L’Opération des Écoles Coraniques était une extension du projet piloté par le ministère de la Jeunesse et des Sports, et avait des ambitions à la fois théoriques et pratiques. Ses objectifs, approuvés par la Fondation Bernard van Leer et par le ministère, étaient les suivants :

  • développer un concept d’éducation préscolaire centré sur l’enfant
  • soutenir de nouvelles approches pour la reconversion des enseignants dans le domaine préscolaire, visant à améliorer leurs attitudes et leurs compétences afin de respecter les besoins de l’enfant et son environnement socio-économique et culturel
  • développer des méthodes susceptibles de sensibiliser les enseignants à la nécessité d’impliquer tous les partenaires dans le processus éducatif, en particulier les parents et les communautés
  • mettre au point une méthodologie de formation qui crée un processus dynamique permettant à l’enseignant d’intégrer des pratiques éducatives innovantes et adéquates
  • stimuler et créer des structures de formation plus dynamiques dans les ministères et autres organisations impliquées dans le développement des jeunes enfants.

Il s’agissait de convictions relativement basiques qui pouvaient facilement être partagées avec les partenaires de l’ATFALE au sein du ministère de l’Éducation. La difficulté était de traduire ces convictions en pratiques mutuellement acceptables qui auraient un impact sur le terrain et seraient également acceptables pour les chefs religieux (Bouzoubaâ, 1998 : 10).

L’équipe du GroupeKoranic Preschool (GKPS) du ministère de l’Éducation nationale était composée de trois inspecteurs des écoles primaires présidés par le directeur de la Direction de l’Enseignement Primaire du ministère de l’Éducation. Après une dizaine d’années, l’équipe ATFALE devient indépendante et poursuit le travail sans le GKPS.

Nous avons créé des moments de discussion sur l’importance des valeurs… à transmettre aux jeunes enfants en réfléchissant sur les liens entre les valeurs fondamentales… de l’Islam et les valeurs universelles. — K. El Andaloussi

K. El Andaloussi :
Tous les conseillers sont des fonctionnaires du Ministère de l’Éducation Nationale. Ils sont affectés dans les différentes délégations du pays. Leur fonction reste quelque peu indéfinie. Elle oscille entre le rôle de l’inspecteur et celui du conseiller pédagogique. L’absence d’un statut officiel favorise le flou institutionnel et complique leurs tâches. […]En 1992, seize inspectrices ont rejoint la cohorte des conseillers pour soutenir leurs actions et contribuer au développement de l’éducation préscolaire. Bien que formées pour le travail d’inspection dans l’enseignement primaire[plutôt que préscolaire], les inspectrices ont tenté de fournir un réel effort dans le domaine de l’éducation préscolaire. Cependant, elles ont dû faire face à la résistance de quelques conseillers opposés aux changements et à la féminisation des responsables de ce secteur. (El Andaloussi, 2005 : 46).

K. El Andaloussi :
Nous avons réussi à transformer la vision du préscolaire grâce à notre statut d’universitaires et de praticiens de la petite enfance. La force motrice de cette transformation a sans aucun doute été l’introduction d’activités pratiques telles que le jeu, la motricité, le chant, les activités créatives… en soulignant chaque fois leur impact sur l’apprentissage des jeunes enfants. Cette approche nous a permis de montrer l’importance de l’éveil de l’enfant, son développement, son épanouissement personnel et sa sociabilité. Nous avons créé des moments de discussion sur l’importance des valeurs… à transmettre aux jeunes enfants en réfléchissant sur les liens entre les valeurs fondamentales… de l’Islam et les valeurs universelles.

Au cours des années 90, à la Faculté des Sciences de l’Éducation de Mohammed V, une vingtaine d’étudiants par an (de 1995 à 1998) ont pu acquérir une formation universitaire en éducation préscolaire. Un certain nombre de ces élèves ont ensuite été intégrés au secteur préscolaire dans diverses délégations régionales. Leur intégration dans les délégations leur a permis d’acquérir une bonne connaissance de la réalité sur le terrain. Leur fonction était d’organiser des sessions de formation dans les centres de ressources à l’intention des conseillers et des éducateurs. Nous les avons appelé conseillers de délégations, qui avaient alors un certain nombre d’éducateurs à former. Nous recherchions une « masse critique ».
(El Andaloussi, 2005: 51)

Les résultats tels qu’ils ont été évalués en 1998 par Khadijaâ Bouzoubaa5, membre de l’équipe ATFALE, ont été les suivants :

De nouvelles compétences, en particulier dans la fabrication de matériel d’apprentissage à faible coût, ont été acquises, et on estime que 30 à 70% des kouttab ont introduit des activités manuelles et artistiques, la psychomotricité, les contes populaires, le travail en petits groupes, les excursions et l’utilisation de coins d’activités…

Un « coin mosquée » a commencé à apparaître dans les kouttab. Il reproduit l’aménagement d’une mosquée, avec des images de la Mecque, un tapis de prière, le Coran, et les différentes étapes de la prière et des ablutions. Ces dernières images étaient importantes à la fois pour les objectifs de l’éducation religieuse et pour acquérir des connaissances de base en matière d’hygiène et de physiologie humaine…

Aucun kouttab atteint par le projet n’a cherché à éviter les nouvelles pratiques. D’autres kouttab qui n’étaient pas directement touchés par le projet [l’Opération des Écoles Coraniques] ont même développé leurs propres pratiques comme pour montrer qu’ils s’identifiaient à une certaine image de modernité. (Bouzoubaâ, 1998)

Photo: Kay Dilday

Au milieu des années 90, l’ATFALE se forge une réputation au Maroc en tant que ressource précieuse pour les éducateurs de la petite enfance cherchant à introduire des méthodes modernes qui abordent le développement de l’enfant de manière holistique. D’autres organisations internationales au Maroc commencent à utiliser l’expertise et l’expérience pratique de l’ATFALE pour soutenir le développement de ce secteur.

De 1997 à 2002, le gouvernement français soutien financièrement l’ATFALE et le ministère de l’Éducation nationale pour ouvrir 38 classes préscolaires intégrées dans les écoles primaires. Des cours de formation pour les éducateurs et des échanges entre établissements préscolaires français et marocains sont alors organisés. Ce projet est rendu possible par la décision ministérielle d’introduire des classes préscolaires dans les écoles primaires publiques. Cependant, malgré l’implication de l’État dans le projet, les enseignants sont rémunérés par des organisations privées. Par conséquent, alors que les classes préscolaires sont situées dans les écoles publiques, elles restent financées par des fonds privés, généralement par des parents qui sont financièrement en mesure de le faire. (Cette structure de financement se poursuit encore aujourd’hui et constitue l’un des obstacles majeurs à la mise en place de programmes d’éducation de qualité destinés aux enfants financièrement défavorisés.)

Outre les travaux financés par le gouvernement français, l’équipe ATFALE est sollicitée par les Instituts français dans les plus grandes villes du Maroc pour travailler avec des prestataires préscolaires privés.

B. El Andaloussi :
En 1995, l’ATFALE a été sollicitée par les Instituts français de Rabat, Casablanca, Meknes, Tanger et Marrakech pour proposer des cours de formation pour les établissements préscolaires privés. La pauvreté éducative de ces écoles préscolaires était égale à celle des kouttab. Mais le secteur privé a été le premier au Maroc à comprendre que pour améliorer la qualité de l’éducation, deux facteurs étaient incontournables : la formation et un salaire approprié pour les éducateurs. En quelques années seulement, celui-ci s’est organisé et a offert aux enfants une approche plus structurée.

B. El Andaloussi :
Dans les années quatre-vingt-dix, l’ATFALE a également formé le Groupe Petite Enfance qui réunit des responsables d’établissements privés de différentes villes du Maroc désireux d’améliorer la qualité de leurs établissements.

Nezha Alaoui, directrice d’une école préscolaire privée dans un quartier modeste de Rabat, membre du Groupe Petite Enfance depuis 20 ans :
Je cherchais quelqu’un qui pouvait me guider et m’enseigner, mais je voulais aussi vraiment apprendre à gérer et construire une école maternelle digne de son nom. On m’a présenté le groupe de la petite enfance. Il y avait ces professeurs – des professeurs d’université – et des directeurs d’écoles maternelles – écoles privées bien sûr, et non des écoles publiques[dans le Groupe Petite Enfance]. Nous nous rencontrons tous les mois durant une journée entière depuis 20 ans maintenant.

K. El Andaloussi :
Une des clés de notre succès a été l’adaptation de toutes nos activités au contexte économique, social et culturel du Maroc. A partir de 1997, le ministère de l’Éducation a adopté l’approche et la méthodologie développées en partenariat avec l’ATFALE et a décidé d’essayer de généraliser l’expérience au niveau national.

Fouad Chafiqi, directeur des curricula au ministère de l’Éducation :
Il n’était pas concevable qu’un concept préscolaire étranger puisse être mis en œuvre au Maroc. Le ciment d’une société c’est l’école. C’est ce qui construit le projet communal. L’école doit y contribuer, l’école doit avoir un socle commun pour tous les enfants d’une société.

El Mdari :
L’équipe ATFALE a trouvé le lien entre innovation et culture. Elle a une perspective internationale : ils savent ce qui se passe ailleurs, mais ils sont ancrés dans la culture marocaine. Ils attachent une grande valeur à la culture marocaine et en ont préservé la richesse, tout en y ajoutant de nouvelles approches éducatives.

Courtesy ATFALE

De 2000 à 2010

Le gouvernement marocain met en place une Charte nationale de l’Éducation et de la Formation qui identifie l’éducation de la petite enfance comme la première étape de l’éducation sanctionnée par l’État et l’ATFALE aide au développement de la section préscolaire de cette charte. Cependant, la Charte nationale retire également l’éducation préscolaire de l’enseignement post-préscolaire dans la Loi sur l’Enseignement général privé ; l’ATFALE publie alors une chronique mensuelle dans le magazine Femmes du Maroc, répondant aux questions des lecteurs sur l’éducation de la petite enfance ; l’ATFALE réalise une « Valise Pédagogigue », un système complet de formation de 30 éléments disponible en tant que ressource et outil d’autoformation pour ceux qui n’ont pas accès à une formation en personne.

Le 23 juillet 1999, Hassan II décède après avoir gouverné le Maroc pendant près de quatre décennies. Son fils Mohamed VI lui succède le même jour. La réforme de 1999 de la charte de l’éducation a été l’un des nombreux projets de modernisation d’Hassan II. En 1999, il avait également tenté une réforme de la Moudawana, les lois marocaines sur la famille de 1957–58, afin de mettre fin à la polygamie légale, mais cette réforme ne se concrétise pas de son vivant.

En 2004, après une campagne de plus de 15 ans sous Mohamed VI, le Parlement a adopté une réforme de la Moudawana, prévoyant davantage de droits légaux pour les femmes dans tous les aspects de la vie civique. L’entretien et l’éducation des enfants sont considérés comme une responsabilité et il n’est pas fait mention de la différenciation selon le sexe de l’enfant. Il est stipulé que : « Les enfants doivent recevoir une éducation et une formation qui leur permettent de s’intégrer dans la vie professionnelle et de devenir des citoyens utiles dans la société. Dans la mesure du possible, les parents doivent fournir les circonstances adéquates pour que leurs enfants puissent poursuivre leurs études en fonction de leurs capacités physiques et intellectuelles. »

En 1999, le gouvernement met en place une Charte Nationale pour l’Éducation et la Formation. L’éducation est annoncée comme priorité pour les dix prochaines années et, pour la première fois, l’éducation préscolaire est officiellement définie comme la première étape de l’éducation. L’objectif est la standardisation et l’institutionnalisation au niveau national pour 2004, bien que ce délai est étendu par la suite à 2007. (Toutefois, en 2017, cet objectif n’est pas encore atteint.)

En 2000, le Maroc adopte une loi intitulée « le Statut de base de l’Enseignement préscolaire », qui retire l’enseignement préscolaire pour les enfants de 4 et 5 ans de la Loi sur l’Enseignement général privé, dans le cadre de laquelle le gouvernement a officiellement désigné l’éducation préscolaire comme la responsabilité financière du secteur privé.

Courtesy ATFALE

La loi stipule que le gouvernement doit mettre en place un système d’incitations pour encourager les agences privées (par exemple, les familles, les communautés, les ONG, les entreprises et les prestataires de services à but lucratif) à ouvrir des écoles maternelles. Elle ne precise pas les types d’incitations, qui peuvent être des avantages fiscaux, des subventions ou d’autres formes de soutien. Le gouvernement concentre alors son attention sur la réglementation, la formation et les innovations pédagogiques (UNESCO, 2004).

K. El Andaloussi :
La Charte Nationale de l’Éducation et de la Formation est le fruit d’un consensus de nombreuses forces politiques, ce qui a été important en 1999 lorsque toute tentative de débat national sur l’éducation donnait lieu à un débat interminable au Parlement. Ce fut une première étape dans la reconnaissance de l’existence du secteur préscolaire (El Andaloussi, 2005).

B. El Andaloussi :
L’éducation préscolaire a été reconnue comme faisant officiellement partie du programme scolaire, sa normalisation étant prévue pour 2004. Face à ce défi, le ministère a encouragé toutes les institutions et la société civile à participer à l’effort de développement. Cette standardisation n’a pas été réalisée pour les enfants défavorisés. L’enjeu principal était le mode de financement. La faible rémunération des éducateurs dans les secteurs préscolaires défavorisés les empêche de rester dans la profession. Ce fut un obstacle majeur à l’amélioration de la qualité du secteur (El Andaloussi, 2007).

Wim Monasso, chargé de programme de la Fondation Bernard van Leer, Maroc 2002–2004 :
L’absence d’organisation minimale dans le secteur de la petite enfance fait de l’éducation préscolaire la scène la plus représentative des inégalités socio-économiques du pays (Monasso, 2004).

K. El Andaloussi :
Le secteur privé gère la quasi-totalité des écoles maternelles au Maroc. Même quand on dit qu’il y a un secteur public, cela veut dire quelques classes intégrées dans les écoles primaires mises à la disposition d’une association pour les gérer. On ne peut pas vraiment les qualifier de publiques puisque les éducateurs ne sont pas payés par la fonction publique, mais par l’association. Cela signifie par les parents… ce sont les parents qui soutiennent ce secteur.

On remarque que les enfants issus des familles les plus défavorisées socialement et culturellement sont aussi ceux qui fréquentent les institutions préscolaires les moins stimulantes et les plus insalubres. Tous les bénéfices du préscolaire vont aux enfants les plus favorisées : ceux-ci profitent des classes préscolaires, les mieux équipées, les plus adaptées, les plus ouvertes sur la modernité et les mieux encadrées. Mais cette minorité ne dépasse guère 8% des enfants préscolarisés. (El Andaloussi, 2005 : 53)

Chafiqi :
Il existe dans les villes des écoles préscolaires dites modernes. Dans certains quartiers, nous trouvons des écoles préscolaires qui adoptent un point de vue beaucoup plus moderne. Elles ont une vision de l’enfant dans tous ses besoins : psychologie, psychomotricité et besoins cognitifs. Lorsque ces besoins entrent en jeu et sont pris en considération, on peut dire qu’il s’agit d’une école préscolaire qui est proche d’un modèle moderne de préscolaire.

Lors d’un entretien en 2004, le Chef de la Section de la petite enfance et de l’éducation intégratrice, Division de l’éducation de l’UNESCO, se déclare préoccupé par le Statut de base de l’Enseignement préscolaire. En d’autres termes, déléguer légalement aux parents et au secteur privé la responsabilité du coût de l’éducation préscolaire dans les établissements publics n’améliorerait l’éducation que pour les enfants aisés. Un représentant du ministère marocain de l’Éducation le reconnait en répondant : « Nous sommes conscients de cette possibilité, mais nous n’avons pas encore élaboré de mesures pour y remédier » (UNESCO, 2004).

En 2007, l’ATFALE créé une « Valise Pédagogique », validée par le ministère de l’Éducation nationale, née d’une volonté de cibler le monde rural où le style moderne d’établissement préscolaire est quasi inexistant et où les écoles coraniques n’accueillaient principalement que les garçons.

Photo: Kay Dilday

Il est estimé qu’un kit pédagogique réunissant les éléments de base d’une éducation préscolaire holistique permettrait aux éducateurs ruraux isolés de renforcer leur pratique. La valise pédagogique est composée de 30 éléments (guides éducatifs, livres d’enfants, jeux et outils pédagogiques) destinés aux éducateurs préscolaires, et est disponible en français et en arabe, avec quelques éléments également en tamazight7. Il s’agit d’un outil d’autoformation pour tout le personnel préscolaire qui ne peut pas accéder à la formation sur le terrain (El Andaloussi, 2007).

El Mdari : Le Maroc possède une culture orale mais l’ATFALE l’a écrite et a créé « la valise pédagogique ». Un support écrit est très rare au Maroc. Et cette valise pédagogique, qu’ils ont mise à la disposition de tous ceux qui travaillent dans le domaine préscolaire, coûte zéro dirhams[la devise marocaine]. Si vous la voulez, il vous suffit de payer pour l’impression. C’est important et c’est nouveau pour nous. C’est incroyable. Cela montre que ce sont des gens de valeur qui sont honnêtes et qui ne veulent pas d’argent.

Le Maroc possède une culture orale mais l’ATFALE l’a écrite et a créé « la valise pédagogique ». Un support écrit est très rare au Maroc. Et cette valise pédagogique, qu’ils ont mise à la disposition de tous ceux qui travaillent dans le domaine préscolaire, coûte zéro dirhams[la devise marocaine].

En 2008, l’ATFALE participe à la création de la Fondation Marocaine pour la Promotion de l’enseignement préScolaire (FMPS)8. Il s’agit là d’une étape importante, car il s’agit d’un programme conjoint impliquant plusieurs agences marocaines et d’un mouvement visant à regrouper tous les établissements préscolaires sous un même toit pour la formation et les programmes scolaires.

La FMPS surgit suite à une étude réalisée en 2007 afin d’évaluer la situation du préscolaire et de travailler sur les moyens de l’aborder et de le généraliser. La FMPS est créé pour travailler à la mise en œuvre des recommandations de l’étude afin de développer un système préscolaire national.

Chafiqi : Il y avait alors le Conseil Supérieur de l’Éducation, dirigé par feu Abdelaziz Meziane Belfkih. Il souhaitait mettre en place un modèle d’éducation préscolaire qui puisse être reproduit et normalisé. C’est pourquoi il a investi dans la FMPS, qui est également à l’extérieur du ministère de l’Éducation. La FMPS doit assurer la qualité de sa formation et veiller à ce qu’elle soit partout de qualité égale. Toutefois, la FMPS n’est pas le ministère et a élaboré son propre modèle pédagogique.

En partenariat avec l’ATFALE et la Faculté des Sciences de l’Éducation, la FMPS met en place un programme de formation initiale dans l’éducation préscolaire. Il fait appel à des formateurs multidisciplinaires : des professeurs d’université dans divers domaines liés à l’éducation de la petite enfance, comme la sociologie et la psychologie de l’enfant, des éducateurs préscolaires, ainsi que d’autres intervenants en médecine, en art et en gestion. En 2009, la FMPS entame le processus de régionalisation de cette formation. L’objectif était avant tout d’assurer des ressources humaines en quantité suffisante et à l’échelle nationale.

Abdelhanine Belhaj, doyen de la Faculté des Sciences de l’Éducation de l’Université Mohammed V : L’expérience avec l’ATFALE est très précieuse. Ils ont les compétences requises pour une bonne formation et des gens qui ont beaucoup d’expérience et qui sont capables de transmettre leurs connaissances et leurs compétences à leurs étudiants. J’ai trouvé des étudiants qui ont été transformés en une seule année.

El Mdari : Bien sûr, l’autorité [pédagogique] sur le préscolaire au Maroc est l’ATFALE. Nous avions développé une solide relation en 2007 lorsque je travaillais chez Care International, travaillant ensemble sur un projet qui couvrait un certain nombre de thèmes, dont le préscolaire. Quand j’ai intégré Al Jisr, je les ai contacté. La méthode de formation ATFALE est très efficace. Les éducateurs qui ont reçu cette formation et qui l’appliquent dans leur établissement obtiennent des résultats extraordinaires.

Courtesy ATFALE

De 2010 à 2015

Dans le cadre d’un recentrage stratégique en 2009, la Fondation Bernard van Leer se prépare à quitter le Maroc. L’ATFALE, avec son concept d’éducation de qualité de la petite enfance, est devenu le modèle au Maroc. Toutefois, la généralisation du modèle sur le plan national n’est pas atteinte, les zones rurales et défavorisées en particulier ne bénéficient pas des avancées.

Alors que la Fondation s’apprête à se retirer, son chargé de programme pour le Maroc, Marc Mataheru, a estimé que l’ATFALE avait construit une base solide au cours des 22 ans durant lesquels elle avait été soutenue par la Fondation. Cette base solide a permis d’étendre le programme d’éducation préscolaire au Maroc, mais il faut encore du temps et des ressources supplémentaires pour assurer l’élargissement et la pérennité d’une éducation préscolaire de qualité au Maroc.

La Fondation et l’ATFALE travaillent ensemble pour développer une stratégie de sortie. Il s’agit de fournir des financements jusqu’en 2014 pour permettre à l’ATFALE de renforcer sa capacité à lever des fonds et à assurer des revenus d’autres sources, tout en continuant à investir dans ses activités de base qui comprennent:

  • la formation des enseignants de l’éducation préscolaire
  • l’élaboration de matériel de formation et le développement d’aspects spécifiques du programme scolaire (par exemple, une plus grande attention accordée à la violence en classe)
  • militer en faveur de l’adoption de politiques pour faire en sorte que le système préscolaire soit formellement ancré dans le système éducatif
  • entreprendre les activités de documentation et de recherche nécessaires
  • l’organisation d’ateliers et de conférences.

Courtesy ATFALE

Il reste des défis à relever pour universaliser une éducation préscolaire de qualité au Maroc

K. El Andaloussi :
Sa Majesté l’a dit clairement dans le discours du 12 août 2013 : l’éducation nationale n’appartient à aucun parti. Elle appartient à l’ensemble de la société et nous devons donc gérer l’éducation. La politique et l’éducation sont deux choses différentes.

L’État doit soutenir cette vision éducative et aller dans ce sens avec l’ouverture chaque année de plusieurs salles de classe. J’ai calculé pour le moment l’ouverture de 125 classes préscolaires par an. C’est gérable : ce n’est pas la mer à boire. Et chaque année, une petite augmentation. D’ici à la fin de l’année 2029, tous les enfants marocains devraient disposer d’une place dans le préscolaire.

Souvent, l’obstacle se situe au niveau des moyens ; réformer le secteur préscolaire coûtera cher, avec des besoins annuels de formation, de développement, de recherche et de création de structures pour accueillir les enfants qui n’ont pas bénéficié de l’éducation préscolaire – soit une mise à niveau de l’ensemble du secteur actuel pour adopter cette vision. Mais si l’on considère que l’État consacre déjà environ 5% de son PIB à l’éducation, le montant nécessaire ne devrait pas être beaucoup plus important.8

Chafiqi :
Traditionnellement, le préscolaire n’a pas d’autorité éducative claire ni d’infrastructure claire. Le préscolaire n’est pas sous l’unique tutelle du ministère de l’Éducation. Il y a la Jeunesse et les Sports pour les jardins d’enfants ; le ministère des Habous et des Affaires Islamiques – donc plusieurs intervenants.

Courtesy ATFALE

K. El Andaloussi :
Aucun département n’a voulu céder sa part : Éducation, Jeunesse et Sports, Entraide nationale.

Chafiqi :
La relation entre le ministère [de l’Éducation] et l’ATFALE est une relation particulière : l’ATFALE est une structure autonome qui a sa propre vision. Le ministère est un instrument comme tous les instruments de l’État dont la mission est de mettre en place une politique de l’État dans le domaine de l’éducation. Il y a donc déjà beaucoup de choses sur lesquelles il y a des convergences, mais reste un certain nombre d’éléments sur lesquels il n’y a pas de convergence entre l’ATFALE et le ministère. C’est pour cela que le projet ATFALE a été reconnu par le ministère de l’Éducation nationale. Le projet ATFALE a une certaine vision de l’enfant. Une certaine vision des rôles et des tâches du préscolaire, des types d’activités qui devraient y être mis en place, mais aussi des apports et des résultats de ce préscolaire –comment un enfant est accueilli et comment devrait être cet enfant lorsqu’il quitte le préscolaire, à l’âge de 6 ans –mais ce [projet ATFALE] n’est pas le projet du ministère.

Belhaj :
Entre l’ATFALE et l’État, c’est d’abord la reconnaissance de la pertinence du préscolaire. Cette importance se reflète dans les orientations stratégiques. L’État a reconnu que l’ATFALE possède une expertise et une expérience en la matière. On s’est également rendu compte que l’éducation préscolaire est une étape très importante qu’il ne faut pas négliger. Nous n’en étions pas conscients auparavant. Aujourd’hui, l’étape préscolaire est considérée par les Marocains comme une étape fondamentale. Sur le plan sociologique, toutes les familles ayant des enfants réalisent que le préscolaire est fondamental pour l’éducation de leurs enfants. Il a été reconnu que nous n’aurions une éducation de qualité réussie qu’avec un enseignement préscolaire de qualité. Il faut maintenant mettre en place le mécanisme pour l’installer.

L’ATFALE a une expérience très, très approfondie dans la gestion de tout ce qui relève du préscolaire. Ils ont également des compétences au niveau humain en matière de ressources pour l’éducation préscolaire. Il serait vraiment intéressant de simplement explorer le potentiel qu’ils ont. Il serait dommage de ne pas en tenir compte.

« Le préscolaire a toujours été le parent pauvre du système éducatif. » — L’Économiste (journal marocain), 21 juin 2016

Alaoui :
Vraiment, je suis très reconnaissant envers le Groupe Petite Enfance et l’ATFALE. Ce sont des gens très sérieux. C’est leur formation qui a fondé les normes du Maroc.

El Mdari :
Pour moi, ce sont des combattants et ce sont des gens qui connaissent exactement l’importance des établissements préscolaires au Maroc.

K. El Andaloussi :
Une éducation préscolaire de qualité devrait être la norme pour tous. Pas seulement pour les écoles privées qui ont accès à des parents ayant les moyens de payer alors que les classes préscolaires à la campagne n’ont rien. Non, il faut leur donner les ressources humaines logistiques et organisationnelles pour atteindre la même qualité. Évidemment, il existera toujours des différences. Mais c’est cette vision qui nous tient à cœur et pour laquelle nous avons travaillé à l’ATFALE. C’est pour cela que la Fondation nous soutient depuis nombre d’années et qu’elle est devenue la vision officielle. Pour nous, c’est une grande reconnaissance et un succès.

Pendant près de 30 ans, la Fondation Bernard Van Leer a travaillé avec l’ATFALE comme partenaire principal au Maroc. Bien que la Fondation forme souvent des partenariats avec les gouvernements nationaux – comme elle l’a fait pendant ses premières années au Maroc – les relations programmatiques compliquées avec le gouvernement ont eu pour conséquence des progrès lents, voire inexistants, à la fin des années 1970 et au début des années 1980. C’est ainsi que les responsables des opérations au Maroc de la Fondation Bernard van Leer ont décidé de soutenir M. Andaloussi et l’ATFALE en tant que partenaire principal de la Fondation et interlocuteur privilégié avec le gouvernement national.

Courtesy ATFALE

Le soutien de la Fondation a permis l’établissement, au milieu des années 1980, de l’ATFALE en tant que projet de la Faculté des Sciences de l’Éducation de l’Université Mohammed V. La Fondation Bernard van Leer a continué de fournir un soutien financier et opérationnel à travers la création de l’ATFALE en tant qu’ONG autonome affiliée à l’université en 1996, et ce tout au long des deux décennies suivantes. Pendant cette période, l’ATFALE a été de plus en plus identifiée comme la principale ressource et référence pour une éducation de qualité de la petite enfance au Maroc ; elle a travaillé avec (et reçu des fonds) des partenaires internationaux tels que l’UNICEF, l’USAID, la Coopération Française et la Coopération Belge, ainsi qu’avec les partenaires nationaux mentionnés précédemment.

Grâce au soutien de la Fondation, Khaled El Andaloussi et l’équipe ATFALE ont occupé une position unique pendant trois décennies, assurant une cohérence qui a permis son succès. Si le Maroc n’a pas connu 20 ministres de l’éducation en 20 ans comme il l’a fait dans la période qui a immédiatement suivi l’indépendance, il n’en reste pas moins que, pendant l’existence de l’ATFALE, les ministres de l’éducation et le personnel des ministères ont souvent changé. La liberté financière de la Fondation Bernard van Leer a permis à l’ATFALE de négocier des tournants dans le pays et au sein du ministère de l’Éducation nationale. De nouvelles relations devaient constamment être construites, mais grâce à la stabilité apportée par le soutien de la Fondation, la survie d’ATFALE ne dépendait pas de ces relations.

Cependant, bien que le financement ait été fourni par une fondation internationale, M. El Andaloussi et, par extension, l’ATFALE, étaient du Maroc, en ce qu’il était un professeur d’université et l’ATFALE trouvait son origine dans une institution marocaine établie et respectée, l’Université Mohammed V ; l’ATFALE était donc bien placée pour utiliser le personnel lié à l’université de Rabat, professeurs ou étudiants. De plus, l’équipe ATFALE s’est appuyée sur l’expertise de chercheurs de disciplines variées et de personnes ayant une expérience pratique sur le terrain. La survie et le succès d’ATFALE sont en partie dus au fait qu’elle a travaillé avec toutes les parties prenantes : écoles privées, écoles publiques financées par des associations et programmes religieux, tandis que la Fondation a pu apporter à l’ATFALE la stabilité nécessaire pour assurer une progression et un élargissement cohérents.

Au cours de ces 30 années, les responsables de programme de la Fondation Bernard van Leer ont en grande partie choisi de soutenir l’ATFALE plutôt que de s’impliquer fortement dans son administration et dans sa conception du programme. Fidèle à la volonté de la Fondation de développer et de partager les connaissances sur ce qui fonctionne dans le développement de la petite enfance, l’ATFALE a ainsi bénéficié des liens de la Fondation avec des organisations extérieures et a pu organiser des conférences qui ont réuni des experts internationaux pour échanger des idées avec la communauté éducative marocaine de la petite enfance.

Cette confluence des approches de la Fondation et de son partenaire, l’ATFALE, a réussi à faire de la qualité de l’éducation de la petite enfance une préoccupation nationale au Maroc. Comme le signale dans l’histoire orale Abdelhanine Belhaj, doyen de la Faculté des Sciences de l’Éducation de l’Université Mohammed V :

On s’est également rendu compte que l’éducation préscolaire est une étape très importante qu’il ne faut pas négliger. Nous n’en étions pas conscients auparavant. Aujourd’hui, l’étape préscolaire est considérée par les Marocains comme une étape fondamentale.

Pendant 30 ans, l’engagement de la Fondation au Maroc a contribué à transformer radicalement la réflexion sur l’importance de l’éducation de la petite enfance et à redéfinir la perception d’une éducation de qualité. Au niveau de l’État et de la société, il a été reconnu qu’une éducation qui prend en charge l’enfant dans son ensemble est une première étape cruciale et qu’elle définit la population future du pays.

Avec dévouement, le gouvernement permettra que cela devienne une réalité pour tous les enfants marocains, quel que soit le revenu familial ou la situation géographique.

Chronologie

Bref aperçu chronologique des développements de l’éducation de la petite enfance au Maroc

Voir la chronologie
1956

Le Maroc devient indépendant de la France.

1968

Naissance du concept préscolaire

9 October 1968

Le Roi Hassan II prononce un discours confiant aux écoles coraniques une nouvelle responsabilité. En plus de l’enseignement coranique, elles doivent préparer les jeunes enfants à entrer à l’école primaire. Il s’agit d’un compromis entre deux positions : le développement de l’éducation préscolaire et la sauvegarde du rôle des écoles coraniques, marquant le début de la première période de réforme de l’éducation de la petite enfance au Maroc.

1968–1977

Première période de réforme

1968

Une section pour l’éducation préscolaire et l’alphabétisation est créée au sein du Département de l’enseignement primaire. Sa mission est d’assurer le bon fonctionnement de l’éducation préscolaire, son amélioration et sa formation. Il s’agit de la première reconnaissance de la tutelle du secteur préscolaire par le ministère de l’Éducation.

1969

Le ministère de l’Éducation publie un livre qui donne aux écoles coraniques des directives de base sur l’organisation pédagogique.

1978–1990

Deuxième période de réforme

1978

La Fondation Bernard van Leer soutient son premier programme au Maroc, en collaboration avec le ministère des Affaires Sociales, dans le cadre d’un programme pilote de formation du personnel des jardins d’enfants de Casablanca.

1978

Une division de l’éducation préscolaire est créée au sein du Département de l’enseignement primaire du ministère de l’Éducation, en partenariat avec l’UNICEF. Sa mission est de réformer l’enseignement préscolaire par la mise en œuvre de nouveaux programmes et la mise en place d’un encadrement spécialisé. La division est composée presque exclusivement de fonctionnaires du ministère non spécialisés dans l’éducation de la petite enfance.

Les inspecteurs produisent deux manuels à l’intention des éducateurs, l’un pédagogique, l’autre sur la santé et l’hygiène :

  • Le manuel pédagogique introduit des activités ludiques et psychomotrices dans le but de développer les capacités physiques et mentales des enfants à côté des disciplines traditionnelles.
  • Le guide de santé vise à former les éducateurs et les conseillers en matière de protection de la santé, de prévention des accidents et d’intervention en cas d’urgence.
1990–1999

Premiers pas vers la modernisation et la normalisation des programmes d’études

1990–94

(étendu en 1996) Le ministère de l’Éducation travaille avec l’ATFALE dans le cadre du projet Koranic Preschool pour introduire des progrès pédagogiques dans les écoles coraniques.

  • Plus de 100 superviseurs et des milliers d’éducateurs sont formés à la pédagogie et à la méthodologie du préscolaire.
  • Une cinquantaine de centres de ressources sont ouverts dans tout le pays pour sensibiliser et former les éducateurs préscolaires.
1999–2004

Le préscolaire est officiellement reconnu comme faisant partie de l’enseignement approuvé par l’État

1999

Le gouvernement introduit une Charte Nationale de l’Éducation et de la Formation qui désigne officiellement l’éducation préscolaire comme la première étape de l’éducation approuvée par l’État.

2000

Le Maroc adopte une loi : le Statut de base de l’Enseignement préscolaire. Cette loi désigne l’éducation préscolaire comme responsabilité financière du secteur privé.

2007

L’ATFALE crée une « Valise Pédagogique » approuvée par le ministère de l’Éducation Nationale, un système de formation complet de 30 éléments disponible comme outil de ressources pour tous et outil d’autoformation pour ceux qui n’ont pas accès à une formation en personne.

2008

La Fondation Marocaine pour la Promotion de l’Éducation préScolaire (FMPS) est créée grâce à l’effort conjoint de plusieurs agences, en partenariat avec l’ATFALE. Axée sur la formation, son objectif est d’universaliser l’accès à une éducation préscolaire standardisée et de qualité.

Depuis 2010

Reconnaissance de la nécessité d’une saturation nationale

2011

L’ATFALE achève une étude comparative financée par l’UNESCO sur l’éducation de la petite enfance en Algérie, au Maroc et en Tunisie, soulignant la nature similaire des défis de modernisation et de normalisation.

2011–12

En partenariat avec la Faculté des Sciences de l’Éducation de l’Université Mohammed V, l’ATFALE organise cinq conférences internationales à Rabat sur différents éléments de l’éducation de la petite enfance.

2015

Le Maroc met en place une vision stratégique de l’éducation pour 2015–30. Parmi les objectifs figurent « l’institutionnalisation et la standardisation de l’éducation préscolaire ».

2017

Le Conseil supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique, adopte officiellement la stratégie de la généralisation de l’éducation préscolaire au Maroc, élaborée par Khaled El Andaloussi de l’ATFALE.

Adapté, en partie, d’El Andaloussi, 2005

About the author

Kay Dilday

Kay Dilday est une écrivaine indépendante basée à New York. Elle était auparavant membre de l'Institute of Current World Affairs, après un poste de rédactrice pour la page d'opinion du New York Times.
Questions d’apprentissage

Nous avons commissionné ces études en partie pour identifier les questions que nous devrions nous poser pour nos projets futurs. Suite à ce cas d’étude sur le Maroc, nous avons soulevé les questions suivantes :

  • Quels facteurs prendre en compte pour décider si nous devrions travailler par l’intermédiaire d’une organisation de la société civile locale ou directement avec le gouvernement ?
  • Comment organiser notre engagement de manière à ne pas trop dépendre d’un individu ou d’une institution, tout en favorisant et en soutenant le pouvoir décisionnaire local ?
  • • Comment concevoir un pilote de manière à ce qu’il soit plus modulaire ; c’est-à-dire qu’il soit plus facile à répliquer à grande échelle lorsque l’occasion se présente ?
NOTES

1 Pour de plus amples informations, veuillez contacter : efa2015reviews@unesco.org

2 Au cours de la période qui a suivi l’indépendance jusqu’à l’entrée de la Fondation –de 1956 à 1977 –le Maroc a eu vingt ministres de l’éducation (Ibaaquil, 1996 ; Llorent-Bedmar, 2014).

3 Dans les zones rurales, le modèle du fqih est le plus courant. Le fqih connaît le Coran par cœur et a un contrat avec la communauté pour accomplir un certain nombre d’activités religieuses, y compris l’enseignement du Coran aux enfants, en échange d’une prise en charge par la communauté.

4 Le Maroc a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant de 1989 en juin 1993.

5 Khadija Bouzoubaâ, chercheuse à la Faculté des Sciences de l’Éducation, Université Mohammed V, Rabat, faisait partie de l’équipe ATFALE depuis ses débuts en 1986.

6 Le tamazight (aussi appelé amazighe) est une langue parlée par de nombreux Berbères du Maroc. En 2011, elle est devenue une langue officielle du Maroc (avec l’arabe standard moderne).

7 Le ministère de l’Éducation, de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de la Formation Professionnelle, le ministère de l’Intérieur et la Fondation Mohammed VI de Promotion des Œuvres Sociales de l’Education-Formation, ont conjugué leurs efforts pour initier le développement de ce nouveau système préscolaire national en partenariat avec l’ATFALE. Axé sur la formation, il vise à généraliser l’accès à une éducation préscolaire de qualité normée.

8 Le journal marocain L’Économiste note que, selon le FMPS, 100 millions de dirhams permettraient d’ouvrir très rapidement 1200 classes supplémentaires, ce qui équivaudrait à une moyenne de 26 400 enfants (Nazih, 2016).

RÉFÉRENCES

Banque mondiale/Institut de statistique de l’UNESCO. (en ligne). Inscriptions à l’école, préscolaire, (% brut). Disponible à l’adresse : https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SE.PRE.ENRR?locations=MA (consulté en janvier 2018).

Bouzoubaâ, K. (1998). An innovation in Moroccan Koranic preschools. Working Papers in Early Childhood Development. La Haye : Fondation Bernard van Leer.

El Andaloussi, B. (2007). ATFALE ou 20 ans d’engagement dans le préscolaire marocain, Le Furet n° 53.

El Andaloussi, K. (2005). Développement de l’éducation préscolaire : réalités et perspectives, dans : Lamrini, A. (éd.) Systèmes Éducatifs, Savoir, Technologies et Innovation. Rabat : Royaume du Maroc.

Ibaaquil, L. (1996). L’École Marocaine et la Compétition Sociale : Stratégies, aspirations. Rabat : Babil.

Llorent-Bedmar, V. (2014). Educational reforms in Morocco : evolution and current status. International Education Studies 7 : 12.

Monasso, W. (2004). Draft Morocco Country Strategy Paper. Fondation Bernard van Leer.

Nazih, A. (2016). Préscolaire : La généralisation dès cette rentrée. L’Économiste, 21 juin.

UNESCO. (2004). « Encourager le secteur privé » : la réforme de l’éducation préscolaire au Maroc, note de l’UNESCO sur la Politique de la Petite Enfance n° 20. Paris : UNESCO. Disponible à l’adresse : http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001374/137409f.pdf (consulté en janvier 2018).

UNESCO. (2014, en ligne). Education for All 2015 National Review: Morocco. Disponible à l’adresse : http://unesdoc.unesco.org/images/0023/002317/231799e.pdf (consulté en janvier 2018).

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